L’autisme, un trouble neurodéveloppemental affectant la communication et le comportement, présente une prévalence nettement plus élevée chez les garçons que chez les filles. Selon les dernières estimations, quatre garçons sont diagnostiqués avec un trouble du spectre autistique (TSA) pour chaque fille affectée. Cette disproportion entre les sexes a longtemps intrigué les chercheurs. Grâce aux avancées en génétique, on commence à mieux comprendre le rôle des chromosomes sexuels, et particulièrement du chromosome Y, dans ce biais sexuel. Ce chromosome, présent uniquement chez les hommes, pourrait être un facteur clé dans l’explication de la prévalence masculine de l’autisme.
Les bases génétiques : le rôle du chromosome Y
Les études génétiques ont révélé un lien entre la présence du chromosome Y et un risque accru de TSA. Une étude menée par le Geisinger Health System, publiée en 2024, a mis en évidence que l’aneuploïdie des chromosomes sexuels, notamment la présence de duplications du chromosome Y, augmente significativement le risque d’autisme. Cette étude suggère que les garçons avec une composition chromosomique anormale, comme un syndrome XYY (deux chromosomes Y), sont plus susceptibles de développer des TSA que les garçons ayant une composition XY standard.
Le chromosome Y est également porteur d’un gène appelé NLGN4Y, une version du gène NLGN4X présent sur le chromosome X. Ce gène joue un rôle clé dans la formation des synapses, les connexions neuronales responsables de la communication entre les neurones. Chez les garçons, qui ne possèdent qu’une seule copie du gène NLGN4X et une copie de NLGN4Y, la présence d’une mutation dans NLGN4X ne peut pas être compensée par NLGN4Y car ce dernier est moins fonctionnel. Cela explique en partie pourquoi les garçons sont plus susceptibles de développer des TSA que les filles, qui ont deux copies de NLGN4X.
Comparaison des mutations génétiques entre les sexes
Chez les femmes, le double chromosome X offre une forme de protection contre les mutations génétiques. Si une copie du gène NLGN4X est mutée, la deuxième copie peut souvent compenser ce déficit. Cela réduit le risque de développer un TSA ou d’autres troubles liés à une dysfonction synaptique. En revanche, chez les hommes, la présence d’un seul chromosome X signifie que toute mutation sur ce gène peut entraîner des conséquences directes, y compris des troubles du développement comme l’autisme.
Des études ont montré que la mutation de la neuroligine NLGN4X chez les garçons entraîne des déficits dans le transport des protéines nécessaires aux synapses. Cela nuit à la capacité des neurones à communiquer efficacement, ce qui est un facteur clé dans l’apparition des TSA. Chez les filles, cette mutation peut être compensée par l’autre copie fonctionnelle de NLGN4X, expliquant en partie pourquoi les femmes sont moins souvent diagnostiquées avec un TSA.
Hypothèse de la protection féminine
Le concept de « protection féminine » contre les TSA est basé sur l’observation que les femmes semblent nécessiter une charge génétique plus importante pour exprimer des symptômes autistiques. Une hypothèse commune est que les filles auraient un seuil de vulnérabilité plus élevé en raison de leurs deux chromosomes X fonctionnels. Cependant, lorsque ce seuil est franchi, les filles peuvent présenter des formes plus sévères d’autisme que les garçons, bien que les études sur ce sujet continuent d’évoluer.
En revanche, les garçons, avec leur unique copie du chromosome X, sont plus vulnérables aux mutations affectant des gènes clés impliqués dans les fonctions synaptiques, comme NLGN4X. Des études ont également mis en avant la possibilité que d’autres facteurs, comme les hormones sexuelles, jouent un rôle dans la prévalence plus élevée de l’autisme chez les garçons, bien que le mécanisme exact soit encore à élucider.
Données statistiques sur la prévalence masculine de l’autisme
Les chiffres confirment cette différence marquée entre les sexes dans le diagnostic des TSA. Aux États-Unis, par exemple, environ 1 enfant sur 54 est diagnostiqué avec un TSA, et 80% de ces diagnostics concernent des garçons. En France, la Haute Autorité de Santé estime que 80 à 90% des cas d’autisme diagnostiqués sont des garçons. Ces chiffres soulèvent des questions importantes sur la nature des facteurs de risque spécifiques aux garçons, notamment en ce qui concerne les gènes portés par le chromosome Y.
Nouvelles découvertes : le rôle des variations génétiques
En plus des études sur NLGN4X et NLGN4Y, d’autres recherches ont exploré des variations génétiques spécifiques présentes uniquement chez les garçons. Ces variations, appelées aneuploïdies des chromosomes sexuels, incluent des duplications du chromosome Y qui augmentent encore le risque de développer un TSA. Les garçons présentant ces anomalies chromosomiques montrent des taux de TSA plus élevés que ceux ayant une composition chromosomique XY normale.
Facteurs environnementaux et leur interaction avec les gènes
Bien que les facteurs génétiques expliquent une grande partie de la différence de prévalence entre les sexes, il est également important de noter que des facteurs environnementaux peuvent interagir avec ces susceptibilités génétiques. Des études ont suggéré que des facteurs tels que l’exposition prénatale à des perturbateurs endocriniens, comme le bisphénol A (BPA), peuvent également contribuer à cette prévalence accrue de l’autisme chez les garçons. Le BPA, un produit chimique couramment utilisé dans les plastiques, est suspecté d’avoir un effet perturbateur sur les hormones sexuelles, exacerbant ainsi les risques pour les garçons en développement.
Vers de nouvelles pistes de recherche
L’étude des gènes liés au chromosome Y et leurs impacts sur le cerveau est un domaine de recherche en pleine expansion. La découverte de l’inefficacité de NLGN4Y à compenser les mutations de NLGN4X ouvre la voie à de nouvelles investigations sur les autres gènes présents sur le chromosome Y qui pourraient être impliqués dans l’autisme. En outre, des recherches sur l’interaction entre les facteurs environnementaux et les susceptibilités génétiques spécifiques aux garçons pourraient fournir des pistes pour des stratégies de prévention plus ciblées.
Conclusion
Le lien entre le chromosome Y et la prévalence masculine de l’autisme représente une avancée significative dans la compréhension des bases génétiques des TSA. Alors que les garçons sont plus susceptibles aux mutations des gènes situés sur le chromosome X en raison de l’absence d’une copie compensatoire, le rôle du chromosome Y dans cette vulnérabilité reste un sujet de recherche passionnant. Les découvertes récentes montrent que la génétique des chromosomes sexuels influence de manière importante les différences de genre dans les diagnostics d’autisme, fournissant de nouvelles perspectives pour comprendre et, espérons-le, atténuer ces risques chez les garçons.
En combinant des efforts de recherche sur les aspects génétiques et environnementaux, les scientifiques espèrent développer des stratégies de prévention plus efficaces et offrir des traitements adaptés pour les individus les plus à risque.